Interview de Babara Bangoura Fakoly

Parrain du festival "Afriquement Dingue!"

Quelques anecdotes rappelleront des souvenirs aux élèves de Babara.

 

KONDROKA

Bonjour Babara, merci de m’accueillir et de répondre à ces quelques questions

Alors, dis-nous, qui es-tu Babara ?

 BABARA BANGOURA

Ah ! Par où commencer ? Je suis Guinéen. Je suis né en Guinée Conakry et j’ai grandi là-bas. Je suis descendant d’une famille noble.

 KDK : Waouh !

 B B : Oui, et là-bas, j’ai appris la musique, c’est ce que je suis !

 KDK : Tu ES la musique !

 B B : Voilà ! Ha ha !

 KDK : Et à présent ?

 B B : Aujourd’hui, je vis à Bruxelles, depuis 14 ans.

 KDK : Ça fait un bail ! Qu’as-tu éprouvé en arrivant en Belgique ?

 B B : D’abord, le froid ! Je suis arrivé une  fin d’octobre, j’avais froid.

Et puis j’ai découvert… les frites belges !

 KDK : Ha ha ! Et avec quelle sauce ?

 B B : Samouraï et cocktail!

 KDK : Samouraï ! Tes élèves vont voir à quoi tu fais allusion ! Et qu’est-ce qui t’a fait venir en Belgique ?

 B B : Le travail. Mon demi-frère, qui vivait déjà en Belgique, m’a demandé de venir auprès de lui. C’est par lui que j’ai atterri ici. D’abord à Gand.

  KDK : Tu as donc d’abord appris le néerlandais, mais le français, tu connaissais déjà ?

 B B : Oui, j’ai commencé par le néerlandais, mais le français, je l’ai aussi appris ici

 KDK : Tu parlais quelle langue en Guinée ?

 B B : Le soussou et aussi le malinké, mais très peu le français.

 KDK : Tu allais à l’école, quand même ?

 B B : ouais, mais l’école … c’était plus souvent l’école buissonnière, hé hé ! C’est en Belgique que j’ai vraiment appris le français ; et j’ai refait ma vie ici.

 KDK : A quel âge es-tu arrivé en Belgique ?

 B B : j’avais 22 ans, j’ai quand même passé une bonne partie de ma vie en Guinée !

KDK : Tu es venu pour travailler, mais tu as directement fait de la musique ? Peux-tu évoquer ici l’ensemble de tes groupes musicaux?

 

B B : oui, dès mon arrivée, j’accompagnais des cours de danse, je donnais de stages de percussion et je jouais dans le groupe de mon frère : le WOFA WONBÉRÉ , ce qui veut dire « venez jouer ensemble ». Ce groupe marchait super bien, on a fait beaucoup de spectacles. Par après, j’ai moi-même créé des petits groupes le premier c’était BOLOKAN, que j’ai créé à Gand, c’était en 2002. On a pas mal tourné aussi avec ce groupe. Après, j’ai aussi créé le groupe FOLIKAN, une formation composée uniquement d’Africains. Là aussi on a tourné un peu partout en Europe.

Lorsque j’organise des stages à l’étranger, je finis  souvent par former un petit groupe avec les participants, par exemple, en Italie, j’ai créé le group BEMANKAN, au Portugal, le groupe DJABARA. Dans d’autre pays, il existait déjà des groupes, alors je jouais avec eux ! Entretemps, j’ai aussi été sollicité par mon père spirituel : Mamady Keïta, en 2003 pour rejoindre son groupe SEWA KAN. Là, c’était des tournées au niveau mondial, c’est surtout grâce à ça que je suis devenu plus connu.

Babara avec Sewakan
Babara avec Sewakan

KDK : Ensuite tu as créé ta propre école : « Manding Foli » 

 B B : Effectivement. J’ai ouvert mon école en septembre 2004. Une très chouette école, pas mal de gens sont passés par là et il y en a certains qui sont toujours là !

 KDK : Tu es donc musicien dans l’âme ?

 B B : Oui, c’est une force naturelle, qu’on ne peut pas contrôler. Même ma mère a tout fait pour que je ne devienne pas musicien mais c’était plus fort qu’elle. Quand j’allais à l’école, elle me disait de travailler, de ne pas faire de la musique, d’étudier pour devenir MONSIEUR Bangoura, et sur la route de l’école … je prenais un autre chemin pour aller jouer !

 

KDK : Peux-tu préciser ton parcours de la Guinée à la Belgique ?

 B B : En Guinée, avec des amis, on jouait pour les fêtes traditionnelles, Tabaski (NDLR : appellation de la « fête du mouton » en Afrique de l’Ouest), les mariages, la fin du Ramadan, … On était une bande d’amis et on faisait des « réveillons » de cette façon. On n’était pas vraiment un groupe à cette époque. Plus tard, dans les années 90, j’ai commencé à jouer dans le Ballet communal de Matam (NDLR : faubourg de Conakry). De là, j’ai rejoint les « Percussions de Guinée Junior » grâce à un ami proche, Alpha Abora Touré, le groupe était géré à l’époque par Ibrahima « Boca » Camara – paix à son âme ! – j’ai joué énormément avec lui. Ce groupe est ensuite devenu BOCA JUNIORS. Quelques années plus tard, j’ai été sollicité par les Ballets Djoliba, aussi via un ami : Aboulaye Sylla avec qui j’ai aussi beaucoup travaillé. A présent il vit en Hollande. Aboulaye a parlé pour moi aux dirigeants des ballets, j’y suis allé et ils m’ont fait passer un test, des trucs très difficiles pour voir jusqu’où on peut aller : des solos improvisés sur des rythmes très compliqués, des marquages de pas de danse, etc. Apparemment, j’ai tout bien fait puisqu’ils m’ont accepté ! On a beaucoup tourné en Guinée pour divers événements officiels ou des fêtes traditionnelles. Quelques mois après, en 99, on a eu une tournée avec ce ballet en Allemagne. C’est lors de cette tournée que mon frère m’a contacté pour venir en Belgique.

 

KDK : Quels liens existent encore avec ton pays d’origine ?

 B B : J’ai toujours de la famille là-bas : ma mère, mes sœurs, mes frères, mes neveux, mes nièces, il y en plein plein ! Tu as dû en voir quand tu as fais le voyage musical.

 KDK : oui, bien sûr, ta maman, ta sœur, …

Babara, sa maman Mariama et Jean-Ma, Conakry, janvier 2012
Babara, sa maman Mariama et Jean-Ma, Conakry, janvier 2012

B B : Chaque année, j’espère partir là-bas, soit pour leur rendre visite, soit pour le travail. Tous les deux ans d'ailleurs j'y vais pour un projet que j’ai créé sur place : le Festival International d’Échange Culturel Nord-Sud. C’est un projet qui me tient à cœur et pas mal de gens y ont déjà participé. Je propose un voyage musical à mes élèves de Belgique, des Pays-Bas, d'Asie, et des autres pays pour suivre un stage intensif de percussion ou de danse durant trois semaines, de manière à ce qu’ils puissent participer au festival. C’est aussi l’occasion de revoir la famille. D’autres occasions me donnent la possibilité d’y aller, comme lors d’un enregistrement d’un DVD avec Mamady Keïta.

 

KDK : En comparant la Belgique avec la Guinée, qu’est-ce que tu pointerais du doigt comme le plus marquant ?

 B B : Leplus marquant, c’est le climat. Car j’ai remarqué que le climat joue sur le moral des gens : ici, depuis octobre jusqu’au printemps, les gens sont différents, ils ont l’air triste. Mais dès que l’été arrive, avec le soleil, ça se rapproche plus de chez nous : les gens ne marchent plus tête baissée dans la rue, ils se regardent, se disent bonjour, c’est plus social. Chez nous, de janvier à décembre, c’est toute l’année comme ça ! Et aussi la manière de vivre, ici c’est vraiment une toute autre culture, des autres coutumes.

 

KDK : A travers tout ce que tu fais, les groupes musicaux, ton école, des stages en Belgique et à l’étranger, est-ce que tu te donnes une mission pour cela ?

 B B : oui, je me donne une mission : ça consiste à faire passer le message à toutes les personnes que je rencontre, par rapport à la musique et par rapport à la vie, que la musique fait partie de ma vie et que c’est quelque chose qui peut nous rapprocher, qui peut nous faire découvrir ce qu’il y a en nous, qui peut nous ouvrir l’esprit aussi. Car, pour moi, la musique ce n’est pas seulement jouer d’un instrument. Mon message, en jouant, en chantant,  c’est de faire prendre conscience aux gens que la musique joue un grand rôle dans notre vie, et c’est partout pareil, c’est universel. C’est le partage naturel, le ressenti universel, ça ne laisse pas indifférent. On ressent tous cette énergie-là.

KDK : Peux-tu nous parler du partage de la transmission de la culture africaine dans ce que tu fais, dans ce que tu exprimes ?

 

B B : D’abord, je transmets l’Histoire de la tradition mais aussi tout ce qui suit, c'est-à-dire les rythmes, les solos traditionnels, les chants et, par ailleurs, le style des ballets : ce qui est plus du spectacle mais aussi de la tradition. Je garde toujours en tête ces deux éléments-là: le spectacle et la tradition.

C’est important pour les gens de connaître la tradition, de savoir ce qu’on joue, pourquoi on le joue et aussi que ça puisse devenir un spectacle : les groupes doivent savoir comment se présenter devant un public.

Ce que je souhaite faire découvrir également à travers la musique, c’est ce qui est en nous tous, c'est-à-dire notre âme. Dans chaque être humain, comme dans la nature (le soleil, la lune, les océans, les montagnes, ...), il y a du positif et du négatif.

Par exemple, on sait que le soleil peut nous brûler mais en même temps on aime le soleil pour ses côtés positifs: sa lumière, sa chaleur. Personne ne peut résister à l’irruption d’un volcan mais on admire le côté positif de cette nature qui donne les diamants et les terres fertiles.

Tout ça pour dire que dans chaque être humain, il y a aussi un côté positif et un côté négatif, comme dans un volcan. Partout où je vais, j’essaie de transmettre ça : toujours regarder le côté positif de l’être humain et la chose la plus belle, c’est l’âme.

Via la musique, on parvient à faire sortir cela de chacun. C’est une des forces de la musique qui fait que quand on se rencontre, même si c’est la première fois, il suffit de jouer quelques minutes ensemble pour être ouverts et réceptifs et voir le côté positif de l’autre qui, pour moi, est l’âme.

KDK : Qu’est-ce que tu peux nous dire de l’attachement à ta culture ?

 B B : C’est tout ce que j’ai appris et vécu. Tout ce qui est de la manière de vivre, sans exagérer ; tout ce qui est bon, je m’y attache. Ce qui n’est pas bon, je le jette! Comme dans toutes les cultures il y a du pour et du contre, je ne peux pas accepter tout. De plus, je vis dans un pays qui n’est pas le mien, j’essaie de prendre le bon des deux côtés et c’est avec ça que je me balade !

KDK : Et pour la maîtrise technique de tes instruments ? Tu as commencé à jouer très jeune ?

 B B : Oui, très jeune, bien sûr je me suis perfectionné et naturellement inspiré parce que la musique, c’est tout ce qui m’entoure. Aujourd’hui, ma technique est spontanée, ça fait partie de mon entourage, de l’énergie qu’il y a autour de moi. Techniquement, je fais des choses que moi-même je ne peux pas contrôler, ça vient tout seul ! Bien sûr, durant de longues années, j’ai beaucoup travaillé, tout seul avec mon djembé, devant l’océan, à répéter ! Au point qu’aujourd’hui, je ne peux pas dire que jouer intensément du djembé me fatigue, par contre si je vais voir un concert, par exemple, rester debout deux heures, ça me fatigue : pas parce que le concert n’est pas bon, mais parce que je suis immobile. Jouer deux heures debout en portant mon djembé, je n’ai aucune fatigue !

Du fait de la pratique pendant des années, j’ai aussi développé ma personnalité, mon style. Ainsi, d’autres personnes apprennent aussi cette manière de jouer.

 

 

KDK : Pour en revenir au voyage musical et au Festival International d’Échange Nord-Sud, il a eu lieu cette année ?

 B B : Il a bien eu lieu cette année. C'est une idée que j’ai eue en pensant à cette chance que n’ont pas eu comme moi des musiciens et groupes locaux de Guinée composés de très bons percussionnistes qui mériteraient d’être plus connus, pour partager la richesse culturelles qu’ils ont. D’où mon idée de créer ce festival : c’est l’idée de partage entre l’Occident, l'Asie et l’Afrique. Amener des gens d’ici, qui jouent depuis de années, à partager la même chose, mais au pays, en Afrique : montrer aux Africains ce partage, cette musique : même de loin, nous sommes pareils. A ce festival, sur scène il y a un mélange de nationalités, le publique aussi est mixte et l’ambiance est bouillonnante ! C’est le projet qui continue à œuvrer pour la tradition, pour la culture africaine. C’est un peu ma manière de participer au service qu’on peut rendre à l’Afrique. J’espère que ça va continuer à grandir et qu’un jour, je pourrai encore inviter d’avantage de groupes européens à aller là-bas. C’est vraiment un  projet qui me tient à cœur.

KDK : Tu peux dire un petit mot sur ton album « la Guinédénou » ?

B B : C’est mon premier album. Je le dois à quelques personnes. Au départ, je n’avais pas forcément envie de faire un album, c’est grâce, tout d’abord à Mamady Keïta, mon père spirituel, ainsi qu’à Ibrahima Boca Camara, à Alpha Abora Touré mais aussi à ma femme, Aline qui m’a encouragé à le faire. Tous me disaient : « tu as participé à plusieurs CD et DVD, il est temps maintenant que tu fasses aussi quelque chose ! » C’est grâce à ces personnes, que je remercie au passage, que j’ai pu réaliser cet album. Je l’ai dédié à la Guinée, mais aussi à tous les Africains : « La Guinédénou » signifie « les enfants de la Guinée », c'est-à-dire, hommes, femmes, enfants,  jeunes, vieux, toutes générations confondues. C’est une manière pour moi de remercier cette Afrique qui m’a soutenu pendant des années, qui a joué un grand rôle dans mon parcours.

KDK : Avec un tel rythme de vie intense, comment peux-tu concilier le travail avec tes groupes, ton école, tes voyages et avec ta vie de famille ?

 B B : Je dois avouer que ce n’est pas facile. Mais j’ai la chance d’avoir une femme qui me comprend très bien et qui assure très fort dans notre vie, avec les enfants. Il y a aussi mes élèves qui sont très compréhensifs par rapport à ma carrière : si j’ai un concert, un festival ou un stage à l’étranger, ces gens restent toujours flexibles et ensemble on s'arrange pour remplacer les cours que je ne peux pas donner. Entre la vie de famille, les cours et les voyages, tout le monde ne peut pas gérer tout ça. J’ai vraiment le soutien de mes élèves et de ma petite famille ce qui fait que j’arrive à m’en sortir. Il n’y a vraiment que « la fatigue » qui ne me soutient pas ! C’est le seul truc qui est dur quelquefois : entre les déplacements, les décalages horaires etc. c’est assez dur.

KDK : Venons-en au 7 juin à Marchin : tu as accepté d’être le parrain du festival « Afriquement Dingue ! » que l’association KONDROKA et le Centre culturel de Marchin organise tous les deux ans. Qu’est ce que ça représente pour toi ?

 

 B B : C’est quelque chose de très symbolique pour moi : c’est me demander de témoigner au nom de toute l’Afrique, de ce qu’est devenue la tradition africaine, ici en Belgique et à travers le monde. Ce n’est pas la première fois que « Afriquement Dingue!» a lieu et j’ai participé aux deux premières éditions, mais c’est la première fois qu’on me fait cet honneur d’en être le parrain, pour moi, c’est toute l’Afrique qui est parrain de ce festival. C’est une manière de témoigner de ce partage qui ne nous laisse pas indifférent, qui fait que c’est un festival mixte, de rencontre de cultures. C’est pour moi un honneur privilégié.

Babara à "Afriquement Dingue!" mai 2012

KDK : merci Babara. Peux-tu maintenant dire un petit mot pour les lecteurs du site kondroka.com ?

 

B B : Voilà : si vous cherchez à apprendre le djembé, si vous cherchez à découvrir l’Afrique, mais en restant en Belgique, si vous cherchez le bonheur dans la musique, le site www.kondroka.com est une porte ouverte ! Ça vaut la peine d’aller voir, c’est la possibilité d’apprendre.

 

KDK : et pour le public du festival ?

Babara Bangoura : … Le 7 juin, ça va chauffer !!!

 

 

 Kondroka : merci, Babara et merci de dédicacer ta photo !

 

Propos recueillis par Jean-Ma de Kondroka